"Une locomotive est en marche. On demande: pourquoi marche-t-elle? Un paysan dit: c'est le diable qui la fait avancer. Un autre dit: la locomotive marche parce que les roues tournent. Un troisième: la cause du mouvement est dans la fumée qu'emporte le vent.
La réponse du paysan est irréfutable: on ne pourrait la réfuter qu'en lui démontrant que le diable n'existe pas, ou qu'un autre paysan lui prouve que ce n'est pas le diable, mais un Allemand qui fait marcher la locomotive. Alors seulement la contradiction leur fera voir que tous deux ont tort. Mais celui qui dit que la cause est le mouvement des roues se réfute lui-même, car s'il s'est engagé sur le terrain de l'analyse, il doit aller toujours plus loin: il doit trouver la cause du mouvement des roues. Et jusqu'à ce qu'il arrive à la dernière cause de la marche de la locomotive, à la vapeur sous pression dans la chaudière, il n'aura pas le droit de s'arrêter dans la recherche des causes. Quant à celui qui a expliqué le mouvement de la locomotive parce que le vent emporte la fumée en arrière, voyant que les roues ne fournissent pas la cause, il s'est saisi du premier signe venu et l'a cité comme cause.
La seule notion qui puisse expliquer la marche de la locomotive est celle d'une force égale au mouvement visible.
La seule notion susceptible d'expliquer le mouvement des peuples est celle de la force égale au mouvement total des peuples.
[...]
Tant qu'on écrira l'histoire des individus - des César, des Alexandre, des Luther ou des Voltaire - et non pas l'histoire de TOUS les hommes, de TOUS ceux, sans une seule exception, qui ont participé à l'événement, il est impossible de décrire le mouvement de l'humanité sans faire appel à la notion d'une force qui oblige les hommes à diriger leurs activités vers un seul but."
in "Guerre et Paix II" de Léon Tolstoï, folio classique, Ed. Gallimard
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